Le virage du vélo en Île-de-France
Date: 31 décembre 2019 17:17
C’est incontestable : l’Île-de-France est en train de prendre le virage du vélo. Dans un article pour Mobilettre, Olivier Razemon décrit pourquoi et comment les élus se sont finalement mis à créer des villes cyclables. Résumons cette transformation en quelques questions.
Pourquoi les élus s’intéressent tous au vélo maintenant ?
Il y a les raisons qu’on connaissait déjà : la crise climatique, la crise de sédentarité, la crise des transports aggravée par la densification constante (routes bouchées et transports publics saturés) et, enfin, le manque de qualité de vie : les habitants veulent une ville apaisée. Mais surtout, les élus ont compris qu’investir dans le vélo est "bankable" : ça rapporte politiquement et ça ne coûte pas grand-chose financièrement. Et comme les municipales arrivent…
Pourquoi y a-t-il si peu de cyclistes actuellement ?
Razemon décrit une situation qui est à l’opposé de la ville apaisée. En première couronne, la fluidité automobile "fait office de dogme". Le diable est dans le détail: "les carrefours sont aménagés afin que l’automobiliste n’ait pas à ralentir avant de tourner". Il y a les "coupures urbaines" qui rendent le trajet à vélo quasi-impossible pour le résident lambda, comme les nombreux carrefours imprenables où le vélo se perd dans un flot de voitures. Si vous trouvez une piste continue quand même vous aurez du mal à vous repérer, car le jalonnement manque.
Qui sont les bons et les mauvais élèves ?
Razemon mentionne quelques "cancres" : Boulogne-Billancourt, Argentuil, Vitry, Neuilly-sur-Seine, Saint-Ouen. Les villes motrices : Sceaux (la première à mettre en place les doubles-sens cyclables), Montreuil (avec le plan vélo le plus ambitieux d’Île-de-France de presque 20€ par habitant par an) et Vincennes (la première ville à faire payer le stationnement aux scooters pour dégager de la place pour du stationnement vélo).
Qu’est-ce qui manque ?
Ce qui manque cruellement est la base d’une ville cyclable : l’expertise nécessaire pour la concevoir et la fabriquer. Autre problème: une gouvernance qui facilite la coordination au lieu de la compliquer. Si le maire est d’accord pour faire aménager une route pour le vélo correctement, il dira que ce n’est pas à lui mais "au département" ou "au territoire" d'intervenir. La France est un millefeuille de nombreuses collectivités sans chef d’orchestre qui, faute d'un mandat suffisamment fort, est capable de piloter la « cyclabilisation » de la région.
Qu’est-ce qui est en train de changer ?
Deux choses. D’abord, les collectivités commencent une à une à adopter leur propre plan vélo, y compris les plus grandes. La Région a un plan vélo depuis 2017 ; le Val d’Oise y travaille ; le Val-de-Marne a déjà son plan vélo ; la Seine Saint-Denis a même lancé un plan vélo en vue de rendre 100% des routes départementales cyclables. Les Hautes-de-Seine sont à la traîne, mais son président constate "qu’il faut être sourd" pour ne pas voir la demande énorme en faveur du vélo.
Le deuxième changement vient de la société civile. Depuis le 15 mars 2019, les associations vélo franciliennes se sont regroupés en un seul "Collectif Vélo Île-de-France", qui appelle les collectivités à se réunir autour d’une table pour rendre la région Île-de-France cyclable. Leur proposition : un réseau de transport vélo pour toute la région sur le modèle d’un RER, mais avec des pistes cyclables au lieu de voies ferrées. Le nom : "RER V" (RER vélo). Et cela fonctionne : le Val-de-Marne et la Métropole du Grand Paris ont chacune décidé de participer à ce projet à hauteur de 40.000 euros par an. Les collectivités commencent sérieusement à prendre leur responsabilité dans la création de la première région cyclable de France.
Quels sont les défis majeurs ?
Le premier défi est l’intermodalité : le vélo comme moyen pour aller à la gare. Lorsque le Grand Paris Expres (GPE) sera terminé, 90% des Franciliens en zone dense habiteront à moins de 2km d’une gare (8 minutes à vélo). Pour qu’ils laissent leur voiture réellement au garage, il faudra qu’ils puissent garer leur vélo la gare. Cependant le nombre d’arceaux actuellement prévus dans les gares du GPE est trop faible. Les deux cent arceaux à la gare RER de Vincennes débordent déjà.
Autre défi : l’argent. "L’argent ne manque pas", dit le maire de Massy (92) Nicolas Samsoen, mais encore faut-il savoir le saisir et le dépenser! Samsoen est l’un des quelques maires à avoir réussi à mobiliser les fonds de la région. Pour le fonds vélo national, aucune commune des Hauts-de-Seine n'a réussi réussi à en bénéficier. Espérons que les communes et collectivités seront plus pro-actives en 2020 et ne laisseront pas les 50 millions d’euros passer de nouveau entre le doigts : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/velo-et-marche#e2.
Que penser de cette perspective d’une région cyclable ?
Les responsables politiques sont d’accord pour dire que le vélo va renforcer l’unité du territoire, qui est aujourd’hui marqué par des fractures routières. Le vélo apportera aussi une échelle plus humaine "dans une métropole qui va toujours plus vite". Nicolas Samsoen voit dans le vélo un moyen de "retrouver le sens de la géographie, une forme de vie plus humaine". Le vélo rapproche les citoyens non seulement entre eux, mais aussi les citoyens et leurs responsables politiques. La construction d'un territoire plus cyclable et plus humaine nous permettra, dit-il, de "regagner la confiance des gens, leur montrer que l’on peut changer des choses".