Moins de voitures, plus de clients!
Date: 24 décembre 2019 10:52
Dans l'ancien monde, on pensait qu'il fallait beaucoup de voitures dans la rue pour faire marcher le commerce. C'était le temps du "no parking, no business". En 2019, de nombreuses villes ont coupé le transit des voitures en centre-ville et le commerce a fleuri. Pourtant le maire de Fontenay-aux-Roses hésite encore à réduire la présence de l'automobile dans la rue commerçante principale car cela risque de tuer le commerce écrit-il:
"L’exclusion de la circulation dite 'de transit' est un concept intéressant mais dont on peine à appréhender la traduction dans les faits sans des mesures extrêmement contraignantes qui risquent d’être décourageantes pour les Fontenaisiens eux-mêmes et qui pourraient dans ce cas être très toxiques pour notre commerce."
Le résultat: un hypercentre difficilement accessible à pied et à vélo, bruyant, pollué, embouteillé et pas attractif:
Pourquoi, d'une manière générale, les élus ont-ils si peur de réduire la place de la voiture? Pourquoi hésiter alors que les travaux qui bloquaient la rue Boucicaut à Fontenay-aux-Roses ont déjà montré l'effet bénéfique immédiat sur le cadre de vie, comme par exemple des enfants qui osent marcher dans la rue et même y faire du vélo?
J'ai trouvé des réponses dans cet article de Mathieu Chassignet de l'ADEME.
Le constat: les hypermarchés et l'e-commerce tuent le commerce de proximité
Le déclin des commerces de proximité est effrayant: en 6 ans, presque 5% ont fermé boutique. Pendant la même période, le nombre des hypermarchés a progressé de 300% et l'e-commerce connaît une croissance exponentielle! On le constate dans la rue Boucicaut: les clients préfèrent soit faire leurs courses juste à côté à Sceaux dans le centre-ville piétonnisé, soit prendre la voiture pour aller au centre commercial Vélizy où l'offre commerciale est plus complète et où la rue est sans nuisances motorisées. Impossible pour les commerces de la rue Boucicaut de lutter contre ces deux adversaires, car cette rue n'a pas la tranquillité de la rue Houdan à Sceaux, et elle n'aura jamais l'offre commerciale de Vélizy.
Quelle stratégie adopter face à ce déclin du commerce de proximité?
Faut-il rendre l'espace plus agréable en créant un espace apaisé pour donner envie aux habitants de venir et de consommer? Ou faut-il au contraire faciliter la circulation et le stationnement automobile pour faire venir les habitants qui habitent "loin" et pour déclencher des "achats d'impulsion"? Laurent Vastel améliore l'espace public, mais semble vouloir maintenir le transit motorisé:
Pourquoi les élus et les commerçants croient-ils au transit motorisé?
1) Erreur de perception
Ce qui explique cette croyance très forte en le transit motorisé comme "moteur" du commerce de proximité, est d'abord une erreur de perception. Les élus et les commerçants surestiment énormément le pourcentage des clients qui viennent en voiture. Les études le montrent: les commerçants d'un quartier à Bruxelles pensaient que plus de la moitié de leurs clients viennent en voiture, alors que c'est seulement 11%!
2) On n'écoute que les râleurs
La majorité des commerçants réclame toujours plus de parkings, alors que les clients réclament au contraire moins de bruit et de circulation motorisée. Chassignet explique cette différence de perception: "le client qui est venu en voiture et a eu du mal à se garer va le faire savoir haut et fort, alors que celui qui est venu à pied ne va pas évoquer le fait que les trottoirs sont trop étroits ou qu'il y a trop de voitures". Bref, on n'écoute que les quelques râleurs....
3) Ils projettent leurs cas personnel
Il n'est pas si étonnant que les commerçants et artisans réclament souvent "plus de parkings": ils sont la catégorie qui se déplace le plus en voiture individuelle! Souvent ce sont eux qui occupent les places de parking devant les boutiques... Ils projettent leur cas personnel et surestiment l'utilisation de la voiture.
"Oui mais il faut quand même pouvoir venir en voiture!"
La conclusion de cet article n'est pas qu'il faut interdire la voiture, mais qu'il faut lui donner l'accès nécessaire sans détruire le potentiel commercial du centre-ville. L'accès à la voiture oui, mais il n'est pas nécessaire de maintenir la circulation automobile dans chaque rue et de maintenir des places de stationnement devant chaque boutique. Au contraire: "pour l'automobiliste, se garer facilement mais arriver dans des rues remplies de voitures et soumises aux nuisances du trafic n'aurait que peu d'intérêt et ne lui donnerait pas spécialement envie de consommer". Si les commerçants considèrent que "le client est roi", conclut Chassignet, ils ne devraient pas réclamer davantage de circulation automobile mais au contraire "des espaces plus agréables, avec moins de bruit et de pollution et dans lesquels on puisse marcher dans de bonnes conditions et déambuler d'un commerce à l'autre".
Le tapis rouge: pour les clients piétons ou pour leurs voitures?
On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Lorsqu'un maire préconise la maintenance du transit motorisé pour gagner quelques "achats d'impulsion", il risque de perdre définitivement la plus grande partie des consommateurs qui viennent justement pour la tranquilité et la qualité du cadre de vie. En déroulant le tapis rouge aux automobilistes pour tenter de les faire venir jusque devant les boutiques comme dans les années 1970 (regardez ici), les clients prendront le même tapis rouge pour fuir ce parking encombré et faire leurs courses ailleurs....
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
D'autres sources:
- Comment Groningen a dynamisé son centre-ville en réduisant la circulation automobile et en favorisant la marche: https://www.theguardian.com/cities/2015/jul/29/how-groningen-invented-a-cycling-template-for-cities-all-over-the-world et en vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=fv38J7SKH_g&feature=youtu.be
- Les retombées économiques des pistes cyclables le long de la Loire: https://www.caissedesdepotsdesterritoires.fr/cs/ContentServer?pagename=Territoires%2FLOCActu%2FArticleActualite&cid=1250270564247
- La Cheffe de la Circulation à New York explique comment elle a fait grimper le chiffre d'affaires en aménageant des pistes cyclables partout: https://twitter.com/FARaVelo/status/1038186718262898688
- L'étude de la GART qui montre que les piétons et les cyclistes dépensent plus en centre-ville que les automobilistes: https://www.gart.org/wp-content/uploads/2016/06/Etude-GART_Mobilit%C3%A9-villes-moyennes_Septembre-2015.pdf
- Madrid a augmenté le chiffre d'affaires des commerçants en réduisant la circulation automobile: https://www.lesechos.fr/monde/europe/0600564025961-ca-se-passe-en-europe-madrid-tire-profit-des-restrictions-de-circulation-automobile-2238662.php
- Une enquête de la FUB et l'IFRESI-CNRS montre la relation entre modes de déplacement et habitudes d'achats. La synthèse des résultats : https://www.fub.fr/sites/fub/files/fub/Enquete/enqvelocommerce-fub2003.pdf. Le rapport complet : https://www.fub.fr/sites/fub/files/fub/Enquete/velocommerce03rapfin.pdf
- Le dépliant FUB "Piétons et cyclistes : de bons clients pour vos commerces'' https://www.fub.fr/sites/fub/files/fub/Commerces/depliant_velo_et_commerce_-_2013_bd.pdf
- Une table ronde sur le vélo comme moteur de l'économie (no bike, no business): https://parisenselle.fr/2017/06/01/retour-table-ronde-no-bike-no-business-velo-atout-leconomie-locale/ et http://oosterenvan.blogspot.com/2017/03/pas-de-velo-pas-de-business.html?m=1
- Londres a réaménagé certaines rues pour les piétons et les vélos. Les retombées économiques et sociales sont impressionnantes: https://www.forbes.com/sites/carltonreid/2018/11/16/cyclists-spend-40-more-in-londons-shops-than-motorists/amp/?__twitter_impression=true. Voici les chiffres pour Londres: https://lcc.org.uk/articles/healthy-streets-make-for-healthy-businesses-new-data-hub-launched et https://tfl.gov.uk/corporate/publications-and-reports/economic-benefits-of-walking-and-cycling
- Les bénéfices du vélo en Union Européenne se comptent en milliards d'euros: https://ecf.com/groups/shopping-bike-best-friend-your-city-centre
- En Union Européenne, les clients à vélo rapportent 111 milliards d'euros: https://ecf.com/sites/ecf.com/files/shopping-by-bike.pdf
- De nombreuses études montrant que réduire la place de la voiture et augmenter la place des piétons et des vélos augmente fortement le chiffre d'affaires: https://www.citylab.com/solutions/2015/03/the-complete-business-case-for-converting-street-parking-into-bike-lanes/387595/
- Pays-Bas: le vélo coûte 500 millions d'euros par an et en rapporte 77 milliards par an: https://www.fietsersbond.nl/nieuws/baten-fiets-nederland-meer-dan-77-miljard-euro/
- Couper le transit peut faire "s'évaporer" jusqu'à 75% du trafic automobile: https://twitter.com/sebbimarrec/status/1000492936377880577
- Lille: seulement 21% des clients viennent en voiture: https://blogs.alternatives-economiques.fr/chassignet/2021/12/16/mobilite-vers-les-commerces-de-centre-ville-5-enseignements-issus-d-une-enquete-menee-a-lille
- Lyon: seulement 8% des clients viennent en voiture: https://twitter.com/M_Chassignet/status/1525383368229142528
- Nancy: les commerçants pensaient que 77% de leurs clients venaient en voiture alors qu'ils ne sont que 35: https://reporterre.net/Air-pur-commerces-preserves-A-Nancy-les-atouts-de-la-pietonisation
- Mathieu Chassignet résume les études sur le commerce et la mobilité: https://www.youtube.com/watch?v=IIzNDUHmPxo
- Chartres: https://twitter.com/M_Chassignet/status/1586269517495222272
- Etudes sur plusieurs villes: https://www.linkedin.com/posts/mathieu-chassignet-a4895437_mathieu-chassignet-ing%C3%A9nieur-sp%C3%A9cialis%C3%A9-activity-6996023280448995328---wM/?utm_source=share&utm_medium=member_ios
- « No parking no business » en centre-ville un mythe à déconstruire : https://theconversation.com/no-parking-no-business-en-centre-ville-un-mythe-a-deconstruire-224182